1964 – Jean-Claude Magnan – Dévoué à transmettre son amour du sport – Escrime (fleuret)
Et pour cet épisode, j’ai eu la chance de discuter avec Jean-Claude Magnan, 82 ans, escrimeur fleurettiste, médaillé d’argent en individuel et de bronze en équipe aux Jeux de Tokyo en 1964 puis médaillé d’or par équipe en 1968. Il a été porte-drapeau de l’équipe de France aux Jeux Olympiques de Munich en 1972 et il y a remporté la médaille de bronze par équipe.
Sa discipline, le fleuret, est l’une des trois disciplines de l’escrime qui se différencie par son arme, le fleuret, une arme d’estoc, c’est-à-dire avec laquelle on donne les coups par la pointe.
Il m’a raconté son contact avec les premiers Jeux Paralympiques, son parcours olympique, la disette de médailles françaises, son statut d’amateur, l’arrivée du sponsoring avec Adidas, et sa vision du futur du sport olympique.
AMATEURS, c’est le podcast qui nous partage la rencontre de l’artiste Baptiste Chebassier avec des médaillés olympiques français pour qu’ils nous racontent leur histoire, celle de leur sport et celle de leur médaille. Il écrit tous les noms des médaillés olympiques depuis 1896 pour contribuer à sa façon aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
Jean-Claude Magnan
Moi, je suis un individuel. Ça, c’est mon caractère, c’est mon tempérament. Par contre, je sais me donner à fond pour les autres quand, effectivement, j’ai une bonne équipe, j’ai une bonne équipe de copains. Là, à la limite, je peux être même plus fort qu’en individuel.
Baptiste Chebassier
Bonjour à toutes et à tous, je suis Baptiste Chebassier et j’écris à la main les 30 249 noms des médaillés olympiques depuis 1896. Cette grande fresque fera une fois terminée 130 mètres de long et je rajouterai pendant les Jeux de Paris 2024 les noms des nouveaux médaillés olympiques. Et pour la première fois, j’ajouterai aussi ceux des médaillés paralympiques dont la base de données n’existe malheureusement pas. Je souhaite rendre hommage à travers ce projet artistique à tous ces athlètes qui s’engagent et donnent tout ce qu’ils ont pour vivre l’aventure des Jeux. Ils consacrent ce qu’ils ont pour moi de plus précieux, leur temps. J’ai longtemps écrit le nom de personnes décédées, et une fois le nom du premier médaillé encore en vie inscrit, j’ai eu envie de partager ce moment d’écriture avec les vivants. Vous écoutez le podcast *AMATEURS*, qui vous partage dans chaque épisode ma discussion avec un médaillé olympique que je rencontre chez lui, ou par téléphone, pour écrire son nom en sa présence, et qui me raconte son histoire, celle de sa médaille, et celle de son sport. Je découvre que ces médaillés ont tous un point commun avec vous, auditeurs. L’amour du sport sont donc comme vous, des amateurs.
Et pour cet épisode, j’ai eu la chance de discuter avec Jean-Claude Magnan, 81 ans, escrimeur fleurettiste, médaillé d’argent en individuel et de bronze en équipe aux Jeux de Tokyo en 1964, puis médaillé d’or par équipe en 1968. Il a été porte-drapeau de l’équipe de France aux Jeux de Munich en 1972. Et a remporté la médaille de bronze par équipe. Il m’a raconté son contact avec les premiers Jeux paralympiques, son parcours olympique, la disette des médailles françaises, son statut d’amateur, l’arrivée du sponsoring et le futur du sport olympique pour lui.
Oui, vous avez un sacré travail à réaliser là. C’est assez impressionnant.
Merci. J’avais vraiment envie de participer à ma manière au jeu. En écrivant comme ça l’histoire, je vois défiler toute l’histoire des jeux. C’est un bon compte à rebours avant Paris 2024.
Oui, ça c’est sûr qu’il y en a eu des athlètes. Mais vous vous limitez aux athlètes français ou tous les athlètes ?
Tous les athlètes. Et encore, il n’y a pas les paralympiques parce que la base de données n’existe pas. En tout cas, elle n’est pas complète. Au début, je voulais écrire aussi les paralympiques.
C’est assez récent les paralympiques hein. Quand j’ai fait mes premiers Jeux à Rome en 1960, on en parlait discrètement. C’était encore des sujets où on ne pouvait même pas imaginer qu’ils puissent faire du sport. À part quelques-uns que j’ai connus moi à ce qui s’appelait avant l’Institut National des Sports, on commençait déjà à accueillir des paralympiques qui venaient de l’armée et qui avaient été blessés en opération, et qui venaient ou rouler sur des pistes d’athlétisme, ou faire un peu de basket sur leurs fauteuils, ou même faire de l’escrime en fauteuil, et moi je me mettais sur un banc pour leur apporter une opposition. Voilà, c’est la première fois où j’ai eu affaire directement dans mon sport à des handicapés.
Donc vous, vous vous mettiez sur un banc pour faire le partenaire quoi c’est ça ?
Voilà, je donnais le change à des athlètes paralympiques qui étaient issues de l’armée et avaient été blessées. C’était plus particulièrement à l’époque de la guerre d’Algérie. Donc j’en ai connu quelques-uns avec lesquels j’ai beaucoup sympathisé. J’ai découvert une population étonnante, parce que déjà faire face à des handicaps qui sont lourds, alors que vous êtes en pleine possession de vos moyens. En général, la plupart, c’était ou des parachutistes ou des légionnaires, donc des jeunes qui étaient en pleine forme, qui étaient à la guerre, et puis qui avait été blessé dont un qui avait sauté en parachute et malheureusement le parachute il s’est pas ouvert. Donc il a atterri sans parachute dans un marécage où il s’est enfoncé de plusieurs mètres et en fin de compte c’est ce qui a amorti la chute et ça lui a permis malgré tout de rester vivant. Et donc c’est cette personne-là avec laquelle je tirais parfois sur le banc et quand je les voyais entre eux plaisanter quand il y en avait un qui tombait du fauteuil, ils se chambraient comme des jeunes, on se dit, mon Dieu déjà après avoir été frappé par ce handicap, il faut le surmonter. Il faut arriver après à avoir des comportements normaux, de tous les jours, de quelqu’un qui n’a aucun problème. Et quand en plus, il faut dépasser ça pour ensuite être motivé, pour faire du sport et l’être suffisamment ensuite pour dire je vais être performant, je vais être compétitif et passer du temps à s’entraîner. Moi, j’étais en admiration, et je le suis toujours d’ailleurs, admiration devant cette population qui a des leçons à donner à tout le monde.
C’est clair, c’est impressionnant. Je n’ai pas encore eu l’occasion, mais je sais qu’il y a un club de basket fauteuil et je joue beaucoup au basket à côté de chez moi et j’ai bien prévu d’aller essayer de jouer avec eux.
Le jeu, c’est une chose, mais quand on n’est pas au courant, quand on est en contact avec ces gens-là, quand on les voit se comporter entre eux, être tout à fait à l’aise dans leur handicap, que ce soit, moi il y en avait un qui venait en famille, avec trois, quatre gamins, pique-niquer le week-end sur les pelouses de l’INS, avec une énorme voiture américaine, les anciens modèles qui étaient longs comme des wagons, et ils maniaient ça avec une dextérité, il y avait toute la famille qui descendait, Les enfants s’amusaient, lui il faisait quelques tours avec son fauteuil volant, euh roulant.
Ahah volant.
Jusqu’à quel point on peut imaginer que ce sont presque des extraterrestres. C’est une population étonnante, quand on commence à l’aborder sans aucune connaissance, sans y avoir été préparé, déjà, on s’étonne de les voir vivre, mais comme tout le monde, quoi ! Et on se dit, mais quand même, avec ce qu’ils ont, il a fallu qu’ils passent des années et des années à faire des dépassements, à avoir bien souvent de multiples opérations pour avoir un handicap supportable, supporter tout ça, et ensuite vivre des vies de famille, dont certaines, que j’ai croisées, tout à fait normales, avec des enfants, joyeux, la joie de vivre, et en plus de ça, faire différents sports, et être très adroit, très habile et très performant, on se dit, je ne dirais pas que j’aimerais être à leur place, parce qu’à la limite, ils aimeraient être à la mienne aussi. Mais c’est vraiment étonnant et ça rend humble. Ça vous ramène à une échelle qui fait que vous redescendez de plusieurs échelons.
Je suis d’accord.
Ça fait du bien, c’est des bonnes leçons de vie.
J’ai hâte de voir les Jeux paralympiques. C’est vrai que c’est peu médiatisé et moi je m’y suis peu intéressé jusque-là, mais j’ai vraiment hâte de découvrir tous ces sports et toutes ces sportifs.
Oui, parce que la différence avec des athlètes, je dirais, valides, c’est qu’on n’entre pas dans la vie des athlètes valides. À la limite, on va voir des super champions, des Nadal, des Kevin Mayer et Marie-Jo Pérec, etc., on voit des extraterrestres, en tant qu’athlète performant, brillant, mais on ne sait pas comment ils ont vécu avant, pour la plupart. Et quand on est dans le handicap, dans les paralympiques, et qu’on a vu comme moi, j’étais au bataillon de Joinville et j’allais les entraîner le mercredi matin, pour certains. Et là, je les ai côtoyés plusieurs mois, presque dans leur quotidien. Et c’est vrai que là, on a une toute autre image que simplement assister à une épreuve olympique avec des personnes qui sont ou à sauter sur une jambe ou à être sur des fauteuils roulants. La vie quotidienne et quand on sait ce qui leur est arrivé, comment ils s’en sont sortis et les efforts qu’ils ont produits pour en sortir, déjà, ça, c’est une performance qui n’est pas à la hauteur de n’importe qui.
Très clairement. Vous, vous avez participé à combien de Jeux Olympiques ?
J’en ai fait quatre. Quatre en tant que tireur et j’ai été capitaine de l’équipe en 1992 à Barcelone.
Capitaine, ça veut dire quoi ?
Capitaine de l’équipe de fleuret. Je m’occupais de composer une équipe, je veillais à ce qu’il ne nous manque de rien. En coach, en soutien à l’entraîneur national, avec lequel on faisait un bon binôme, de l’amitié et du respect et en fin de compte le besoin de partager ces moments privilégiés. Voilà le but d’un capitaine dans ce genre de discipline.
Ok, mais il ne combat pas le capitaine ?
Ah pas du tout. En 1992, j’avais quand même déjà un âge certain étant né en 1941, 1992, ça fait quand même… 1992, ça fait 50, 51 ans.
Et c’est lesquels les Jeux que vous avez préférés ?
Préférés à différents titres. C’est sûr que mes premiers Jeux, quand j’avais 19 ans, c’était… Six mois avant, je n’étais même pas sélectionné dans l’équipe junior. Donc j’arrive à me sélectionner parce qu’à l’époque, j’habitais l’Algérie. Y étant allé en 1947, après la guerre qui s’est finie en 45, mes parents sont partis en Algérie, donc moi j’y suis allé aussi avec eux en 47 et donc les conditions d’entraînement étaient tout à fait différentes. J’étais jeune, j’ai découvert l’escrime comme ça dans une école et ça m’a plu, je me suis inscrit dans un club à l’époque à Oran, à l’Oranaise, et petit à petit, j’ai gravi les échelons, mais traverser la Méditerranée à l’époque, c’était un problème pour faire partie d’une équipe de France, surtout pour des espoirs qui n’étaient pas encore confirmés.
Ça peut encore l’être, je crois, dans certains sports.
Oui, oui, tout à fait. Il y a parfois des barrières difficiles à franchir, parce qu’il y a plein de principes, il y a des questions de coûts aussi, des déplacements, bon, tout ça, avait fait qu’en début d’année 60, j’ai déménagé, je suis allé à Paris. J’avais un petit boulot où je travaillais à Paris, comme dessinateur, dans une entreprise, et ça me permettait de limiter un petit peu les frais. Et quelques mois après, j’ai été qualifié pour les juniors, où je fais vice-champion du monde en junior. Donc là tout de suite, ça les a intéressés la fédération, parce qu’il faut venir quand même avec un petit peu quelque chose à produire pour qu’on vous trouve intéressant, ce qui est tout à fait normal. Et de là j’ai suivi, donc que ce soit continuer les juniors, que j’ai gagné, d’ailleurs les champions du monde juniors je les ai gagnés en 1961, mais pour 1960 ils m’ont totalement intégré au programme d’entraînement des seniors. Et rapidement je me suis hissé à la hauteur des seniors jusqu’à être retenu. Christian d’Oriola qui était quand même je dirais très favorable à ma participation. Il avait vu en moi un petit peu le jeune qu’il avait été à cet âge là. Un junior gaucher avec du tempérament et puis capable de suivre des programmes assez importants et réagissant bien à ce qui m’était inculqué, et puis les assauts que je faisais avec cette équipe, cette grande équipe senior, ça m’a permis de progresser très très rapidement. Donc j’y suis allé en tant que junior aux Jeux de 1960, ce qui n’était absolument pas prévu six mois avant. Donc j’ai découvert ce temple du sport qui était donc à Rome, le Grand Palais des Sports, ce grand stade où on a défilé, où Christian D’Oriola était donc le porte-drapeau à l’époque. J’étais bien entraîné à aller de l’avant avec ce grand champion. Tout ce à quoi j’ai participé, regardé, il y avait une salle de réunion, de musique, où tous les athlètes avaient la possibilité de venir boire un pot, écouter de la musique. Et donc là, j’ai découvert ce milieu des athlètes, les meilleurs athlètes du monde qui venaient, qui se côtoyaient, qui rigolaient.
Il y a une rencontre qui vous a marqué ?
Des rencontres et de croiser des athlètes hors normes. Croiser un Bill Nieder qui était le recordman du monde de lancers de poids à l’époque, c’était quelque chose. Déjà, je crois qu’à l’époque, il devait lancer à plus de 22 mètres le poids. Et puis tous ces athlètes, les athlètes, l’athlétisme des Etats-Unis, c’était fantastique de voir les coureurs qu’il y avait, même si c’est un Allemand qui a gagné le 100 mètres, (Armin) Hary je crois, il y avait Michel Jazy qui a gagné la médaille d’argent aux 800 mètres, un bon vieux copain qui est décédé il n’y a pas longtemps.
Ouais, on le regrette.
Et c’est vrai que ma première approche des Jeux a été… être impressionné et être vraiment convaincu que de toute façon c’était le milieu qui me convenait. Alors après il est vrai qu’au niveau des performances, moi personnellement je me suis conduit comme un jeune chiot. J’étais sans économie sur tout ce que je faisais. Et en demi-finale, j’étais dans la poule qualificative pour la finale. Là, je n’ai pas pu aller jusqu’au bout. Il ne me manquait pas beaucoup pour atteindre la finale. Mais c’était pas suffisant. Donc là déjà, c’est pas que c’était une déception, parce que les premiers Jeux, en fin de compte, on dit toujours, c’est comme ça qu’on apprend. C’est pas évident de tout de suite briller à ses premiers jeux. Ensuite, l’épreuve par équipe, on avait quand même une équipe qui avaient été un peu remodelée, mais il y avait quand même les poutres maîtresses qui étaient toujours là en place, avec Christian D’Oriola, Roger Closset et Claude Netter, qui étaient vraiment trois, et qui avaient été précédemment, un an ou deux ans avant, champions du monde par équipe. Là, j’étais inclus dans cette équipe, et bon, les matchs que j’ai faits à leur côté, j’ai pas été mauvais du tout, même je crois que j’étais assez… assez bon. Et malgré tout, on a chuté en quart de finale sur les Allemands. Où en fin de compte, Christian D’Oriola, qui a été choisi pour faire le match de barrage, puisqu’on était arrivé à égalité de touche, a perdu ce match de barrage pour la qualification en demi-finale. Où là, on aurait eu probablement une médaille de bronze minimum. Donc ça a été déjà la déception. Mais la déception, En fin de compte, elle a été moins amère parce que toutes les disciplines de la délégation française ont chutées aux Jeux de Rome. À part, je crois, Pierre-Jonquères D’Oriola qui a dû ramener une belle médaille, puis bon, peut-être une ou deux médailles de plus, mais on a dû terminer les Jeux de Rome avec trois ou quatre médailles, ce qui était ridicule pour une nation comme la France.
Vous parlez en escrime, hein ?
Non, dans tous les sports ou jeux de rhum, c’était une catastrophe.
Pour moi, il y en avait plus que ça.
Peut-être, mais pas énormément pour la nation qu’on représentait.
Ah oui.
Parce que la réaction d’ailleurs, qui a été celle du général De Gaulle, quand on est rentré, en fin de compte, lui, il a vu le manque de performance qui était celle de toute l’équipe de France, et il a appelé son ministre, qui était Maurice Herzog, et il lui a dit qu’il fallait absolument organiser, structurer les fédérations et les clubs afin de ramener la France au niveau où elle devrait être. Alors la preuve, c’est que les Jeux qu’ont suivi Tokyo ont été quand même moyens, mais l’effet de cet intérêt particulier pour l’organisation avec des directeurs techniques nationaux, etc. Ce qui n’existait pas avant. Les retombées ont été très positives pour les Jeux de Mexico.
Je vois que c’est avec ça qu’on a créé l’INSEP.
Oui, bien sûr. Même moi, quand j’étais à l’INS, pour les sportifs, c’était l’INS. C’était un endroit où on faisait des stages et où il y avait quelques pays étrangers aussi qui venaient faire des stages avec nous dans toutes les disciplines. Et à côté de l’INS vous aviez l’INSEP. Mais l’INSEP, qui porte le même nom que l’INSEP de maintenant, n’avait rien à voir. C’était l’Institut National du sport et de l’éducation physique. Et ceux qui étaient à l’INSEP dans cette préparation physique, c’était les futurs premiers de promo en tant que prof d’éducation physique. Alors que maintenant, c’est plutôt l’excellence et la performance.
Vous avez raison. En fait, il n’y a eu que cinq médailles.
Vous voyez ?
Oui, parce que moi, vu que j’écris les médaillés et pas les médailles, j’avais l’impression d’en avoir écrit plus.
Ah oui, le nombre de médaillés, si vous mettez les médailles, à peu près à 4 participants par discipline, ça faisait déjà 20 à 25. Je crois que Tokyo, on a eu quoi ? Peut-être une trentaine de médailles en tout. Et Mexico, on a dû avoir peut-être dans les 50 médailles à peu près. Ça voulait dire que le résultat était quand même à la hauteur de tous les efforts qui avaient été faits, d’avoir des athlètes en stage, d’avoir ce système d’aide aux subventions pré-olympiques pour aider des clubs ou des athlètes à être en stage. Donc l’aide matérielle derrière, sans qu’il y ait une aide directe, parce qu’on ne touchait jamais d’argent, pour faire du sport à mon époque, c’était 100% amateur. Même pour avoir une aide alimentaire, on recevait une aide alimentaire par rapport à des factures de repas qu’on pouvait produire, où il ne fallait pas qu’il y ait du caviar et du whisky dans les repas. Non, non, c’était très, très surveillé.
Quand est-ce que ça a changé, vous savez ? Vous, ça a été ça toute votre carrière ?
Oui, moi, ma carrière, en fin de compte, ça a été quand même, oui, beaucoup, jusqu’en, je me souviens, j’ai arrêté en 72. Jusqu’en 72, le côté préparation olympique, Ça a changé au fur et à mesure, dans la mesure où, par exemple, nos équipements, on avait des sponsors pour nos équipements. On était habillés gratuitement. C’est-à-dire, c’était même pas la Fédération qui payait les équipements.
Ouais, mais bon, pour se payer le loyer ou les choses comme ça…
Ah non, non, rien. Nada, hein.
Ça, du coup, vous étiez toujours dessinateur ?
Non, parce qu’après les Jeux de Mexico, j’ai eu une entrevue avec M. Horst Dassler. Ça vous dit quelque chose ?
Non.
Horst Dassler, c’était le fils de M. Adi Dassler. Adidas.
Ahhhh !
Ahhhh “Schon” ! Et M. Hans Dassler, je dirais qu’à peu près à partir de 1964, je crois qu’il a voulu, de son côté, ne plus être simplement, entre guillemets, qu’un fils de milliardaire. Et il a demandé à son père de bien vouloir lui accorder de monter une société Adidas en France. Donc avec la licence accordée par le père et un petit peu d’argent d’avance pour acheter une ou deux usines qu’il y avait dans l’Est et qui étaient des usines qui avaient périclité. Et donc il en a racheté quelques-unes en formant le personnel à la fabrication des chaussures. Et c’est comme ça qu’à partir de Mexico, il y a commencé à y avoir des équipements d’Adidas. Ça a continué depuis ce monsieur Horst Dassler qui était un personnage exceptionnel, un sportif, un très bon sportif, un joueur de hand, qui parlait 7 langues, qui était donc le public relation d’Adidas International et qui avait avec nous un comportement, bon on savait que c’était notre patron, mais il avait un comportement amical avec nous. Il admirait le sport, donc il nous traitait d’une façon, avec beaucoup d’égard, beaucoup de respect, et on avait plaisir à bosser pour lui.
Ok. Moi j’ai une question, ça veut dire quoi la performance en escrime ? Je vous avoue que c’est un sport que je connais pas très bien.
La performance ? Bah la performance c’est déjà au moins faire une victoire, gagner une épreuve où il y a une représentation internationale de premier niveau. Ça c’est déjà une performance.
Et pour les jeunes que vous coachez là, la devise des Jeux c’est plus vite, plus haut, plus fort ?
Plus fort, c’est gagné.
Et ouais, tout à fait. Et c’est vrai que socialement, on voit que c’est une idéologie entre guillemets qui est de moins en moins… Enfin, on sait que si on continue de croître, il y a un moment où ça marche plus. On le voit avec l’écologie, le dérèglement climatique, etc. Donc je me demande, depuis que je suis en train d’écrire ces noms, ça fait du temps pour réfléchir. Je me demande c’est quoi le futur du sport et son évolution et c’est quoi le futur de la performance ?
Le futur du sport, de toute façon, il y a deux considérations qui sont essentielles. D’abord, la première, que je place avant tout, c’est l’apprentissage du sport aux jeunes, c’est-à-dire déjà le sport à l’école. Et si vous avez la possibilité d’interviewer Alain Calmat, lui qui a été un très très grand champion de patinage et qui a été aussi ministre des sports, et c’est un ami, on a beaucoup d’amitié l’un pour l’autre, et j’en parlais souvent avec lui, et il me disait, “tu sais, j’en reviens toujours à mon obsession, d’essayer de convaincre les politiques qu’il faut que les jeunes, on leur fasse apprendre le sport à l’école”. Voilà. Et c’est pas faire 30 minutes de gesticulation qui va les rendre plus aptes à ingurgiter les problèmes scolaires qu’on leur soumet, quoi. Donc c’était toujours dans cette devise, “un esprit sain dans un corps sain”, cette devise qui date d’il y a 2000 ans. Donc vous voyez, l’avenir du sport, quand on disait ça il y a 2000 ans, on n’imaginait pas à quel point le sport était arrivé à ce degré de performance et également ce degré d’intérêt qui fait que maintenant, les sponsors se bousculent pour certaines disciplines ou pour certains noms. Donc la priorité, c’est déjà le sport à l’école. Et moi, je désespère toujours, effectivement, à voir les jeunes faire du sport à l’école. C’est de la gesticulation. Il n’y a pas de programme. On demande à des profs d’école, profs de français, tout ça, de faire gesticuler des gamins dans la cour. Bon, ils continuent à gesticuler, c’est tout. Alors que déjà l’apprentissage, ça peut donner aux jeunes le goût de l’effort en s’amusant et en découvrant des disciplines qu’ils peuvent ensuite continuer et parfaire dans des clubs s’ils ont envie après d’entrer en compétition. Ça c’est déjà le tremplin. Et ensuite, deuxième élément, deuxième pilier, qui est au moins aussi important que le premier, c’est les sponsors. À une époque, il n’y avait pas de sponsors. Maintenant, si vous enlevez les sponsors, vous n’aurez plus de Jeux Olympiques. Voilà, c’est ça l’évolution.
Donc vous dites, ce sera toujours plus de sponsors, c’est ça ?
Et oui. D’ailleurs, regardez, on en est actuellement, après des jeux pharaoniques, on en est arrivé à ce que maintenant, le budget réservé à la construction de certains établissements, certains lieux de pratique du sport, je parle de l’organisation des jeux, on en est arrivé à des Jeux maintenant qui coûtent le moins cher possible. Parce que c’est pas possible pour une nation de supporter ces coûts astronomiques. Et on sait très bien qu’il y aura de moins en moins de sponsors derrière tout ça.
Ah vous pensez ?
Il y aura un affaiblissement du sponsoring.
Ah moi j’ai l’impression qu’il n’y en avait jamais eu autant et que c’était colossal.
Oui mais là c’est… Je pense qu’avec toutes les difficultés qui sont actuellement et qu’on peut avoir en point de mire, je pense que les sponsors vont peut-être avoir autre chose à faire qu’à mettre autant d’argent dans l’organisation des Jeux Olympiques. Voilà. C’est pas pour demain, mais bon, faut pas s’imaginer qu’il y aura une augmentation sans fin de cet impact des Jeux avec des participations de plus en plus importantes, des athlètes de plus en plus performants et des sponsors de plus en plus nombreux pour mettre de plus en plus d’argent. A mon avis, on est arrivé au terme de ce système depuis Londres ou depuis Pékin.
Ok à ce point là Ok. J’ai une question, vous préfériez l’escrime en équipe ou en individuel ?
Moi je suis un individuel, ça c’est mon caractère, c’est mon tempérament. Par contre, je sais me donner à fond pour les autres quand effectivement j’ai une bonne équipe, j’ai une bonne équipe de copains. Là, à la limite, je peux être même plus fort qu’en individuel.
Vous pensez que ça passe par les copains en fait ?
Oui, il faut vraiment qu’il y ait un lien entre nous qui fasse que ce ne soit pas simplement que la médaille qui nous attire.
Vous avez un message pour les athlètes de Paris 2024 ou les escrimeurs ?
De toute façon, j’espère qu’ils auront autant de plaisir à participer que ce que j’ai pu en retenir et qu’ils seront au moins aussi motivés que j’ai pu l’être pour aller décrocher les médailles qu’ils méritent. Parce qu’on a une équipe de France avec des individualités de très très haut niveau et ensemble, parce que je sais qu’ils ont quand même de très très bons rapports, Et je pense qu’ensemble ils sont capables de réaliser de très très belles performances, alors qu’il y a quand même des oppositions qui sont de très très bonne qualité aussi actuellement.
C’est beau, on leur souhaite que le meilleur de toute façon.
Ah oui, de toute façon, ils le méritent. Je les connais, je les ai déjà côtoyés. Ce sont des jeunes hommes vraiment avec une bonne maturité, un bon état d’esprit. Et cette envie de gagner, on ne l’a pas toujours. Cette envie de gagner, je pense qu’ils doivent l’avoir en ce moment, parce que là, il y en a quelques-uns qui les titillent de près. Et ça, quand on est dans un sport individuel et qu’on a été parmi les meilleurs, on a envie à un moment donné de remettre un peu les pendules à l’heure, comme on dit.
Ouais c’est clair. Et les filles ?
Ah les filles aussi, il y a une très très belle équipe qui a déjà performé. Malheureusement on a un gros doute et une grosse inquiétude avec Ysaora Thibus qui a été contrôlée positive à une substance interdite mais elle crie sur tous les toits qu’elle n’en a pas pris ou elle a pris quelque chose peut-être qu’elle ne soupçonnait pas qu’il y avait ce produit qui est vraiment insignifiant mais qui en fait partie. Voilà donc moi ce que je souhaite aussi c’est qu’Ysaora arrive à faire la preuve qu’en fin de compte elle n’a pas eu une intention de se doper avant des Jeux Olympiques. Moi ça m’étonnerait de sa part parce que je connais un petit peu cette jeune femme qui a du tempérament, qui a du caractère, qui est très très bien entraînée et avec des gens de bonne mentalité et avec déjà en ayant été championne du monde et avec le niveau qu’elle a dans les 3-4 meilleures mondiales, c’est pas à six mois des Jeux que vous prenez le risque de vous doper.
À votre époque c’était déjà un sujet le dopage ?
Ah oui, oui, le dopage était un sujet. Mais enfin, c’était pas encore encadré comme ça l’est maintenant. C’était le début. Après les Jeux de Rome, c’était le début du dopage sauvage. Voilà. Des produits qui étaient sur le marché, mais pas obligatoirement pour le sport. C’était pour augmenter la masse musculaire, pour ceci, pour cela, qui étaient pris par des médecins un peu véreux dans certains laboratoires et qui faisaient plus ou moins des expériences auprès des athlètes. C’est un peu comme ça que ça a démarré. Alors que maintenant, avec tous les laboratoires qu’il y a, les contrôles inopinés qu’il y a dans une année auprès des athlètes, difficile de passer au travers si vraiment vous avez l’intention de vous doper sérieusement. C’est plus faisable. Il y en a quelques uns qui se sont fait prendre, en particulier il y a quelques années les Russes qui se sont fait rayer des Jeux. Là, ils n’ont pas les mêmes règles chez eux alors que chez nous il y a des contrôles et en France il n’y a pas beaucoup de fédérations qui accepteraient de doper volontairement un athlète pour le voir ramener une médaille. Ça a peut-être existé, mais il y a longtemps. Ça fait partie quand même un peu de l’histoire, de la vieille histoire. Mais maintenant non, moi, je suis plus dans des Jeux propres, alors qu’on a maintenant des Jeux qui sont pratiqués uniquement par des professionnels. Il n’y a pas un sport qui est resté amateur. C’est impossible.
Un grand merci pour votre temps.
Bon courage à vous, c’est une démarche sympa.
Je vous remercie pour votre écoute et j’espère que cette rencontre avec Jean-Claude Magnan et l’escrime vous a plu. J’ai personnellement beaucoup aimé son point de vue sur l’arrivée du sponsoring et sur le futur du sport. Vous pouvez découvrir d’autres histoires de médaillés olympiques sur ce podcast et sur les réseaux sociaux. Si vous aimez ce podcast et si vous voulez soutenir le projet artistique *AMATEURS*, n’hésitez pas à vous abonner, à partager ce podcast à vos proches et aux amoureux du sport, à laisser un commentaire et à mettre 5 étoiles sur les plateformes d’écoute. Je vous remercie pour ce moment partagé, pour votre temps, et je vous dis à bientôt !