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Vignette podcast AMATEURS - Guy Drut

1972 – Guy Drut – L’Olympisme, un sport qui rythme sa vie – Athlétisme, 110m haies

Et pour cet épisode, j’ai eu la chance de rencontrer Guy Drut, champion olympique du 110 mètres haies afin qu’il nous partage son histoire.

Guy Drut c’est un hurdler, un athlète pratiquant la course de haies. Il est médaillé de bronze aux Jeux de Munich en 1972 qui connaîtront les premiers attentats de l’histoire des Jeux Olympiques et feront 11 morts dans la délégation Israélienne. Il gagnera par la suite la médaille d’or aux Jeux Olympiques de 1976 et poursuivra une carrière politique en tant que maire, député puis ministre de la jeunesse et des sports.
Il nous raconte son parcours en tant qu’enfant des corons, cité ouvrières du nord de la France, sa découverte de l’athlétisme, la typicité du 110m haies, ses Jeux olympiques et son rapport à l’amateurisme.

Il est resté très lié au mouvement olympique en devenant en 1996 membre permanent du Comité International Olympique.

 C’est sa petite fille qui nous a introduit et qui était présente pendant l’écriture du nom de son grand père, pour un moment familial touchant.

AMATEURS, c’est le podcast qui nous partage la rencontre de l’artiste Baptiste Chebassier avec des médaillés olympiques français pour qu’ils nous racontent leur histoire, celle de leur sport et celle de leur médaille. Il écrit tous les noms des médaillés olympiques depuis 1896 pour contribuer à sa façon aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Guy Drut :

J’ai fait une course en 1976, Dieu merci, c’est celle des Jeux Olympiques.

Baptiste Chebassier :
C’est la seule course ? 

La finale, oui. La seule course où j’étais vraiment au-dessus du lot. C’est certainement pas un hasard d’ailleurs. 

C’est le bon timing.

Le jour J, l’heure H, la minute M et la seconde S. 

La seconde ouais dans votre cas.

Tout à fait.

Bonjour à toutes et à tous, je suis Baptiste Chebassier et j’écris à la main les 30 249 noms des médaillés olympiques depuis 1896. Cette grande fresque fera une fois terminée 130 mètres de long et je rajouterai pendant les Jeux de Paris 2024 les noms des nouveaux médaillés olympiques. Et pour la première fois, j’ajouterai aussi ceux des médaillés paralympiques dont la base de données n’existe malheureusement pas. Je souhaite rendre hommage à travers ce projet artistique à tous ces athlètes qui s’engagent et donnent tout ce qu’ils ont pour vivre l’aventure des Jeux. Ils consacrent ce qu’ils ont pour moi de plus précieux, leur temps. J’ai longtemps écrit le nom de personnes décédées, et une fois le nom du premier médaillé encore en vie inscrit, j’ai eu envie de partager ce moment d’écriture avec les vivants. Vous écoutez le podcast *AMATEURS*, qui vous partage dans chaque épisode ma discussion avec un médaillé olympique que je rencontre chez lui, ou par téléphone, pour écrire son nom en sa présence, et qui me raconte son histoire, celle de sa médaille, et celle de son sport. Je découvre que ces médaillés ont tous un point commun avec vous, auditeurs. L’amour du sport. Ce sont donc comme vous, des amateurs. 

Et pour cet épisode, j’ai eu la chance de rencontrer Guy Drut, champion du 110 mètres haies, afin qu’il nous partage son histoire. Il nous raconte dans cet épisode son parcours en tant qu’enfant des Corons, cités ouvrières du nord de la France, sa découverte de l’athlétisme, la typicité du 110 mètres haies, ses Jeux Olympiques et son rapport à l’amateurisme. Guy Drut, c’est un hurdler comme il dit pour décrire les athlètes qui pratiquent la course de haies. Il est médaillé de bronze aux Jeux de Munich en 1972 qui connaîtront les premiers attentats de l’histoire des Jeux Olympiques et feront 11 morts dans la délégation israélienne. Il gagnera par la suite la médaille d’or aux Jeux Olympiques de 1976 et poursuivra une carrière politique en tant que maire, député puis ministre de la jeunesse et des sports. Il est resté très lié au mouvement olympique en devenant membre permanent du comité international olympique en 1996. C’est sa petite fille qui nous a introduit et qui était présente pendant l’écriture du nom de son grand-père, pour un moment familial touchant.


Merci beaucoup déjà de me recevoir. 

Pas de problème, c’est un plaisir.

Est-ce que vous pouvez vous présenter ? 

Je m’appelle Guy Drut, je suis né à Oignies, dans le Pas-de-Calais, en 1950. Le 6 décembre 1950, le Pas-de Calais, c’est en plein pays minier. Une ville minière par excellence, donc dans le nord en plus, dans le Pas-de Calais. Pas trop de soleil, pas la mer, pas ceci, pas cela. Plutôt comme décor des usines, ce qu’on appelle les Corons, qui sont les cités ouvrières du nord, dans lesquelles étaient logés les mineurs. Et moi j’habitais juste devant un Coron. Donc en gros, le jardin public à Oignies, c’était le stade. Il y a énormément de familles qui s’y retrouvaient en semaine, le jeudi après-midi, parce qu’à l’époque, quand j’allais à l’école, le mercredi c’était le jeudi, et le dimanche, dimanche matin, quand il y avait des matchs, etc. Donc le berceau familial de ma naissance. 

Et donc c’est comme ça que vous êtes arrivé petit à petit à l’athlétisme ? 

Tout à fait, je suis issu d’une famille de sportifs. Mon père était footballeur, mon grand-père maternel était également footballeur et entraîneur de football. Ma mère, je suis né en 1950, donc c’était encore l’époque où les mamans étaient plus souvent à la maison et mère de famille. Mais également assez sportive de par son ascendance. Donc j’ai commencé à jouer au football quand j’étais gamin et puis parce que bon en plus comme Oignies, c’était une commune assez sportive et la région était quand même assez sportive. Il y avait une espèce de tradition qui voulait que même à l’école, alors que rien ne l’obligeait dans les textes, on a toujours eu des instituteurs qui favorisaient la pratique sportive. Et donc, régulièrement, j’étais amené à faire du sport. Et très vite, j’ai côtoyé le stade, les gens du club, les divers entraîneurs. J’ai d’abord commencé par faire du football tradition familiale oblige, mais très rapidement parce que l’entraîneur d’athlétisme, le grand chef d’athlétisme, était un ami de la famille de ma mère et j’étais à l’époque assez maigre. Quand j’étais gamin, quand j’avais 12-13 ans, je mesurais 1m50 et je pesais 40 kilos. Donc ma mère a demandé à l’entraîneur de mettre un petit peu de viande sur les os et donc il a dit bon ben je vais m’en occuper et c’est à partir de ce moment là que j’ai fait, plutôt donc vers l’âge de 12-13 ans, que je me suis orienté vers l’athlétisme plutôt que vers le football et puis ben bien m’en a pris parce que j’y suis resté. 

Ouais, avec succès. Et du coup, vous avez fait, je crois, de la perche.

Alors, je disais, mon entraîneur s’appelle Pierre Legrain. C’était un breton, un lanceur de marteau, une espèce de menhir très solide et un peu mon père, mon père sportif. Il considérait l’athlétisme non pas comme ou un sauteur ou un lanceur ou un sprinter ou un coureur de fond, mais l’athlète devait pouvoir toucher à tout avec plus ou moins de succès, mais avec goût, avec plaisir. Et donc, j’ai commencé moi l’athlétisme en lançant le disque. Et puis ensuite, j’ai appris à sauter en longueur, à sauter en hauteur, et puis assez rapidement à courir, bien sûr. Le disque, je suis resté très, très peu quand même, parce que, étant donné que j’étais pas très costaud, c’était pas la peine d’insister. Donc après rapidement je me suis orienté grâce à lui au saut à la perche. Vers le saut à la perche, une discipline avec laquelle j’ai commencé vraiment à faire des compétitions. Et puis ensuite comme pour bien sauter à la perche il faut avoir une bonne course d’élan, et que pour avoir une bonne course d’élan, il est nécessaire qu’elle soit bien rythmée, et pour acquérir un rythme soutenu, c’est bien de passer les barrières, parce que c’est vraiment la base du rythme. Et donc, un jour à l’entraînement, on s’est rendu compte que, alors que je faisais un test, que j’allais quand même assez vite, puisque j’ai égalé le record de France cadet du 80 mètres haies à l’époque, ce qui est quand même assez surprenant. Et donc à partir de ce moment-là, longtemps j’ai hésité. Jusqu’à Munich, mon plan de carrière, c’était les haies à Munich, la perche à Montréal et le décathlon à Moscou. Et puis, finalement, il a fallu quand même que je choisisse parce qu’on peut être champion olympique du 100 et du 200, par exemple, ou du 400 et du 800. Ça c’est fait, ça peut se faire. Mais 110 et Perche, c’est quand même plus difficile. Et je me suis rapidement rendu compte que comme j’ai fait deuxième à Munich, que si je voulais devenir champion olympique, à ce moment-là, il valait mieux que je reste sur les haies. Et ça posait trop de problèmes de faire les deux disciplines. Et donc, j’avais toujours, à ce moment-là, quand même, la possibilité de faire du décathlon, parce que l’athlète, c’est ça, l’athlète, il court, il saute, il lance, il court vite, il court longtemps. Mais bon, ça, j’ai pas pu le faire, mais c’est un peu un regret que j’ai. 

J’aurais pas pensé. Mais justement, là-dedans, parce que chaque sport a quand même une typicité, une ADN, qu’est ce qui fait que le saut de haies, c’est un sport différent des autres ? C’est quoi sa particularité ? 

C’est une épreuve très technique. Il y a beaucoup de proximité d’ailleurs entre la perche et les haies. Et souvent, les perchistes sont obligés de bien courir sur les haies pour le rythme dont je vous ai parlé tout à l’heure. Je connais pas mal de hurdlers aussi qui sont à l’aise aussi avec une perche en main. Donc, il y a les aspects techniques, en plus, c’est une épreuve dans laquelle les Français sont relativement bons depuis longtemps, puisque même avant moi, il y avait quand même des athlètes de qualité internationale, qui avaient des bons résultats. Et puis aujourd’hui encore, c’est un peu le caractère français. Je ne peux pas expliquer, mais c’est, comment dirais-je, l’improvisation, la précision quand même, l’improvisation précise. Parce que l’improvisation, on va dire que c’est pas… Mais au 110m haies, c’est tellement difficile qu’on est obligé, alors que… un type de ma taille environ, qui est à peu près la taille de tous les hurdlers sur les haies hautes. Je parle du 110. On a une foulée normale qui fait entre 2,30 m et 2,60 m à peu près. 2,30 m pour les plus rapides, les plus véloces et 2,60 m pour les plus amples. Alors que sur les haies, entre les barrières, il faut faire des foulées inférieures à 2 m parce que l’espace de course est inférieur à 6 m. Donc il faut faire des foulées inférieures à 2 mètres, alors que normalement, on a une foulée de largement plus de 2 mètres, ce qui explique un petit peu la spécificité de l’exercice, sachant également qu’il peut y avoir du vent de face, il peut y avoir du vent de dos, donc évidemment le vent de dos pousse, et il faut quand même ne pas allonger la foulée, aller toujours aussi vite sans allonger la foulée. Donc c’est toute une question de rythme et de sensation, de perception. 

Donc s’il y a du vent derrière, il faut faire des plus petites foulées ? Il faut essayer?

Il faut toujours faire la même foulée. Mais il ne faut pas, alors qu’un coureur de plat, de 100 mètres plat ou de 200 mètres quand il a le vent dans le dos, il se laisse aller. La vitesse, c’est quoi ? C’est la multiplication de la vélocité par l’amplitude. Donc, il faut faire le plus de foulées possibles, mais le plus ample possible aussi. Alors que sur 110, c’est toujours le même rythme. Donc, c’est vraiment la spécificité de l’exercice.

Et donc, pour accélérer, on ne fait pas forcément des foulées plus grandes mais on en fait plus ? 

Non, on ne peut pas. On ne peut pas faire des foulées plus grandes. 

C’est dur d’accélérer. Quand est-ce qu’on accélère du coup ? 

En rythme. C’est-à-dire qu’il faut aller plus vite. Oui. 

Et sur 60 mètres, les haies sont plus petites ? 

Non, c’est pareil. C’est exactement pareil. Il y en a moins. Sur 60 mètres, je pense qu’il doit y avoir 5 haies. En général, c’est les courses, 50 mètres haies ça existe aussi, de temps en temps, quand les gymnases ou les salles sont un peu trop courtes. Là, je crois qu’il y a 4 haies. 60 mètres, c’est 5 haies et c’est la seule course qu’on fait en indoor. Sinon, il n’y a pas de 70, de 80, etc.

 

Oui, on n’a pas fait…

 

Non, ça ne sert à rien. Non, c’est 60 pour l’indoor et 110 pour l’extérieur. 

Ok. Et à cette époque, ensuite, vous vous passionnez pour la haie. Comme vous avez dit, plan de carrière, 72 Munich. 

72 Munich. 

C’est vos premiers Jeux. 

Oui. 71 déjà, il y a les Championnats d’Europe, à Helsinki en 1971, où je n’ai pas eu une très bonne année parce que j’étais très, très accaparé par les études. Et donc, là, j’ai fait une erreur de débutant que j’étais. Au départ, j’ai pris la première haie, puis à la troisième, je suis tombé. Voilà, donc je me suis juré que ça ne recommencerait jamais. Ça, c’était en 71. En 72, fort de cette expérience, je fais les Jeux à Munich, mais en ayant bien dans ma tête de rester à mon domaine et ne pas vouloir casser la baraque tout de suite. Donc d’avoir une accélération progressive qui m’a été bénéfique là. Là, je décide en 73, je fais le choix du 110, donc j’oublie la perche, parce que je sautais encore régulièrement dans les années 72. Et donc 73, je fais le choix du 110. 74, il y a les championnats d’Europe à Rome. Donc là, je fais tout pour gagner parce que j’avais mal pris un petit peu l’échec de 71 à Helsinki. Donc, je suis champion d’Europe à Rome. En 75, j’ai une très, très bonne saison au cours de laquelle je bats le record du monde manuel (chronomètre). Et là, je suis pratiquement intouchable. C’est vraiment la meilleure saison de ma carrière. Et 76, Montréal avec le titre sur 110. 

Donc, c’est pas 76 votre meilleure année de carrière, c’est 75. C’est ce que vous dites ? 

La meilleure année, c’est 75. J’ai fait une course en 1976, dieu merci, c’est celle des Jeux Olympiques.


C’est la seule course ? 

La finale, oui. La seule course où j’ai été vraiment au-dessus du lot. C’est certainement pas un hasard d’ailleurs.

C’est le bon timing. 

Exactement, c’est le jour J, l’heure H, la minute M et la seconde S. 

La seconde, ouais, dans votre cas. Et du coup, il y avait pas mal de choses qui m’intéressaient sur les Jeux de 72. Pour rappel, je vais écrire votre nom parmi tous les médaillés olympiques que j’écris depuis 1896. Pendant longtemps, j’ai écrit des gens morts. Et maintenant, j’essaye aussi de revivre un peu ces Jeux, notamment cette première édition qui m’intéresse. Les Jeux de Munich, c’est quand même des Jeux particuliers. Est-ce que vous pourriez m’en parler ? 

Je suis arrivé à Munich, c’était mes premiers Jeux olympiques. Je voulais absolument les faire tout en étant, parce que j’ai eu deux clubs dans ma vie, l’Étoile d’Oignies, donc mon club d’origine et mon club formateur, et je voulais faire les Jeux Olympiques en étant stelliste. L’étoile d’Oignies  =  stelliste. Et ensuite, je suis allé au Stade français parce que je suis devenu parisien. C’était pour des facilités d’exercice, d’études, etc. 72, donc j’avais eu une année 71, mi-figue, mi-raisin, tout simplement parce que j’avais préparé l’année P1 du professorat d’éducation physique qui est assez difficile physiquement. Année que j’ai loupé d’ailleurs. J’ai pas été bon, j’ai pas été reçu au concours. Donc 1972, j’ai voulu regagner cette année. J’ai fait mon service militaire en même temps et je me suis représenté à P1, ce qu’on appelle P1, c’est la première année du professorat, en candidat libre, mais j’étais à l’INSEP à ce moment-là. J’étais à l’INSEP, à l’époque c’était l’INS, c’était quand même beaucoup plus facile pour des questions d’entraînement bien entendu, mais également de préparation parce que c’était au sein de ce qu’on appelle l’ENSEP, l’École Normale Supérieure de l’Éducation Physique, donc j’avais un entourage quand même assez positif pour travailler le côté études. Et puis donc deux objectifs pour l’année 72, d’être bon aux Jeux Olympiques et de rattraper le temps perdu sur les études et de réussir le concours de P1. Et j’ai réussi les deux. P1, j’ai réussi, c’était en juin. Et ensuite, je suis arrivé, alors j’avais ma préparation à l’INS, je suis arrivé à Munich en découvrant les Jeux quo. Je rentrais dans le monde olympique, c’était ma naissance à l’olympisme, avec des étoiles plein les yeux, parce que c’est quand même assez exceptionnel quand vous êtes athlète, jeune athlète en plus, parce que à l’époque j’avais 21 ans, un peu plus de 21 ans. Mon but était simple, déjà c’était bien d’y être, mon objectif c’était d’être en finale, d’arriver en finale, et une fois que j’étais en finale, d’être le plus près possible de la boîte, la boîte c’est le podium, les trois premières places. Et puis, de telle façon que j’ai terminé deuxième, à ma grande satisfaction. Ça m’a d’ailleurs valu les félicitations du colonel, parce que j’étais au bataillon de Joinville pour faire l’armée, et je ne sortais qu’en septembre, parce que j’avais fait septembre-septembre. Le colonel Kalck, qui était chef du bataillon de Joinville, m’avait serré la main chaleureusement, me regardant dans les yeux, il m’avait dit, merci les deux objectifs sont respectés. Donc ça c’est pour le côté agréable. Alors il y a le côté un petit peu moins agréable, que je n’oublierai jamais, c’est que malheureusement mon arrivée dans l’Olympisme, ma naissance à l’Olympisme, c’est fait en même temps que le terrorisme dans l’Olympisme. J’ai vécu, parce que le hasard du calendrier faisait que le jour où il y a eu l’attentat de la délégation israélienne, la prise d’assaut du bâtiment qui abritait les Israéliens, c’était le jour de repos de l’athlétisme. Et donc j’étais dans le village et on n’avait plus le droit de sortir, ni d’entrer, ni de sortir. Donc j’ai tout vécu, j’ai tout vécu presque en direct, parce que le soir j’étais en train de me faire masser quand il y a eu le transfert des otages, des bus, dans les hélicoptères, etc. Puis ensuite c’est parti. Donc j’ai vu ça de mes yeux. On savait pas très très bien ce qu’on allait faire parce que la finale normalement, moi j’avais couru les séries et les demi-finales les deux jours précédents. Et je devais courir la finale le lendemain. Donc on ne savait pas très bien ce qui allait se passer, mais surtout quand on a appris dans la nuit l’issue de cette tragédie, la première décision a été de respecter, d’arrêter, de respecter, d’avoir au moins un jour de commémoration, de deuil pour les victimes et ce qui s’était passé. Et puis, il a été décidé, sous l’impulsion de madame Golda Meir, qui était à l’époque Première ministre d’Israël, de ne pas céder au terrorisme et de continuer les Jeux Olympiques. 

C’est elle qui a pris cette décision ?

C’est le CIO qui pouvait prendre cette décision. Mais c’est elle qui a dit qu’il était hors de question de céder au terrorisme, la délégation israélienne, ce qui restait de la délégation israélienne est partie, et les Jeux ont continué, mais avec un jour de retard. Et donc moi je me suis dit, mais j’étais dans ma bulle, comme tous les athlètes qui étaient présents, si vous voulez, et puis quand vous êtes aussi jeunes, comme ça, 20 ans, 21 ans, 22 ans, vous n’avez pas la même conscience, et puis les consciences politiques étaient peut-être, arrivaient peut-être plus tardivement qu’aujourd’hui. C’est un souvenir, donc toujours très très attentif à toutes les mesures de sécurité, parce que j’en ai été victime quand même. 

J’imagine que ça doit…

C’est des choses qu’on n’oublie pas. 

Je me demandais si j’allais écrire des… En fait, je ne sais pas s’il y a eu des athlètes israéliens médaillés pendant cette édition. S’il y a eu des médailles avant, dans les premiers jours. 

Je ne pense pas. Je ne pense pas. Il faudrait vérifier, mais je ne pense pas. Mais moi j’avais une athlète, une bonne amie, qui s’appelle Esther Rot, qui est toujours vivante d’ailleurs, avec laquelle je suis en relation de temps à autre, et qui faisait du 100m haies, puisque pour les femmes c’est le 100m haies, et son entraîneur a fait partie malheureusement des victimes. On entretenait des relations quand même assez suivies, puisque, moi avec elle, avec son entraîneur, nos entraîneurs respectifs discutaient, un petit esprit très, très, très amical, très cordial, qui régnait, et puis toujours de bonne humeur, parce que rentrer, aller aux Jeux, c’est exceptionnel, c’est un peu comme rentrer dans son rêve. Quand le rêve se transforme et se brise comme ça, ça fait tout drôle. 

Merci d’avoir partagé ça.

Et puis après, 72, je suis rentré. Je suis rentré tranquillement à Oignies, à l’époque, je n’étais pas marié. La ville m’a fait un accueil, un accueil de héros avec des réceptions juste à mon arrivée, quoi, sur la place du village. Défilé, fanfare, etc., etc. Donc, ça ramène quand même quelques années, quelques décades en arrière. 

J’imagine. 

Mais c’est comme si c’était hier. 

En préparant un peu l’interview, j’ai trouvé une vidéo qui a été publiée par France Télévisions sur YouTube, où ils filmaient votre famille, apparemment, qui vous suit. 

Ça c’est en 76. 

C’est en 76 ? La vidéo, elle est exceptionnelle. 

Ah oui, oui. 

C’est génial. Vous la regardez de temps en temps ? 

Oui, bien sûr, je l’ai là. Tous les petits enfants l’ont vue régulièrement. 

Ah ouais moi j’en ai eu des frissons. C’était trop bien de voir les gens comme ça. 

C’est des souvenirs qui restent, ça. C’est beau. 

C’est de belles images. Je me demandais, en 72, vous étiez amateur ? 

J’ai toujours été amateur. On n’avait pas le droit, à mon époque, d’être un professionnel. On était plus ou moins soutenus et à l’issue des Jeux de Montréal, comme j’ai toujours eu un relativement franc-parlé, je supportais plus cette hypocrisie, sachant très bien que les athlètes qui à l’époque étaient soviétiques, tout le bloc soviétique, ils étaient ou à l’armée, ou étudiants, enfin ils étaient entretenus pour faire du sport. Et aux Etats-Unis, c’était de la même façon, par le biais des universités. Il pouvait y avoir, au même niveau, des footballeurs, des boxeurs, des tennismans, des cyclistes, ils pouvaient être professionnels et pas les athlètes. Donc je trouvais ça un peu ridicule et j’ai dénoncé cette hypocrisie. Je l’ai fait de façon très très maladroite et donc j’ai été disqualifié pendant quatre ans. 

Ah ouais ? 

De 1976 à 1980. Et bon, après j’ai récupéré ma licence. Mais c’était un peu tard, j’avais perdu 4 ans, donc c’était un peu tard, enfin je suis revenu à un certain niveau. 

Mais la licence, c’est la licence olympique que vous perdez ? 

Non, la licence d’athlétisme, parce que j’avais été viré par la fédération internationale, pas par les Jeux, par le CIO. Le CIO n’est pas une fédération, c’est l’athlétisme. Mais comme l’athlétisme est au CIO, enfin, est affilié au CIO, c’est un respect d’… Et puis, il y a le président de l’athlétisme de l’époque, qui était M. Paulen, qui était un Hollandais, bien sous tout rapport, mais assez stricte, et lui, l’amateur pur et dur, etc. Alors qu’après, ça a été Primo Nebiolo qui est devenu président, qui a pris sa place, qui est un Italien de grande qualité, mais qui vivait plus avec son temps, et qui s’est bien rendu compte que ce statut hybride ne pouvait pas continuer. Donc il m’a rendu ma licence, et puis petit à petit, on voit aujourd’hui qu’il n’y a pas de différence. Disons que j’étais un petit peu trop rapide. 

*AMATEURS*, c’est le nom de mon projet. J’ai eu longtemps du mal à l’expliquer. 

C’est à dire que vous commencez depuis 1896.

C’est ça on parcourt l’histoire des Jeux Olympiques. Généralement c’est ce que je me dis c’est que si ça ne s’appelait pas les Jeux Olympiques, je crois que ça s’appellerait Amateurs, pour moi, c’est “l’amour de … ”. 

Oui, je suis d’accord. C’est pour ça que c’est ridicule d’avoir ce statut, parce que même un professionnel est amateur. Pour être brillant, il faut aimer ce qu’on fait. Un tennisman, un footballeur, s’il n’aime pas ce qu’il fait, il ne peut pas briller. Donc c’est le sens réel du mot amateur. Il faut accepter qu’on puisse en vivre ou pas. À partir du moment où les chances sont égales au départ, elles sont respectées par toutes et tous. 

Ouais ça marche. 

C’est la base de la compétition. 

C’est vraiment ce qui réunit pour moi les athlètes et les spectateurs. C’est cet amour du sport. 

Et moi, ce que je dis souvent, c’est que la base de la réussite en sport, c’est de se faire plaisir et d’aimer ce qu’on fait. Sinon, c’est pas la peine. Personne ne m’a jamais obligé à faire du 110m haies. Si j’ai fait ça, c’est que j’aimais ça. Personne n’oblige qui que ce soit à taper dans une balle, à faire du judo, à ramer, etc. Donc, si on fait ça, c’est que quelque part, on y trouve une grande satisfaction. 

Je suis d’accord. J’ai entendu que vous aviez participé à une vingtaine de dossiers de candidature pour recevoir les Jeux? 

Oh non pas une vingtaine, non ahah. Non, parce que comme c’est tous les quatre ans, je porterais bien mon âge. Non, non, j’ai fait la candidature de Paris, celle qui a eu le succès qu’on connaît, donc Paris 2024. C’était la sixième candidature à laquelle je participais. Mais avec les candidatures d’Hiver. Parce qu’il y a eu Paris, il y a eu Lille, il y a eu Annecy. Donc c’était la sixième, ouais. Et cette fois-là, on a gagné. Donc ça va, moi, je suis tranquille. C’était ma dernière victoire olympique. Et celle-là, elle a été collective. 

C’est une belle victoire !  Oui parce que vous n’avez pas fait 2030. Non, 2030, ce n’est pas encore gagné. 

Si, si, c’est gagné. Enfin presque, c’est encore… 

Ce n’est pas officiel. 

On est les seuls candidats. Mais bon, maintenant, c’est pour avaliser un petit peu la candidature, pour revoir deux ou trois trucs.

Vous êtes toujours membre du comité international ? 

Je suis membre du CIO depuis 1996 jusqu’en 2030. Puisque pour moi, la date limite c’est 80 ans. Donc comme je suis né en 50, j’aurai 80 ans en 2030. 

Comment ça se passe, on est réélu?

Non, non, moi j’ai été élu à vie. Enfin à vie, non, j’ai été intuitu personae, c’est de la date de mon élection. Avant c’était à vie, mais maintenant c’est jusqu’à 80 ans. Pour celles et ceux qui ont été élus avant 2000, sinon, c’est 70 ans. 

  1. Et c’est quoi le futur du sport pour vous ? 

Si on ne cède pas trop aux marchands du temple, si on oublie un petit peu le mot rentabilité, ce sera toujours quelque chose d’exceptionnel, mais qui sera de plus en plus menacé par la volonté de gagner toujours plus. Donc aussi bien par les finances que par les produits dopants. 

J’ai découvert plein de trucs sur le dopage que je ne connaissais pas, que ce soit en Olympique, en Paralympique… 

Tout, que ce soit en Olympique ou paralympique, dès qu’il y a une compétition quelque part … 

Et d’ailleurs, en 72, vous aviez des contacts avec les Jeux paralympiques ou des athlètes paralympiques ? 

Non, c’est arrivé après, pas trop en 72. Moi, c’est arrivé après 72. J’avais des contacts, si vous voulez, mais il n’y avait pas encore les Jeux comme ils se passent aujourd’hui. Ça ne succédait pas après Munich. Je ne suis incapable de vous dire où ont lieu les Jeux paralympiques de l’époque. Je ne sais même pas s’il y en avait encore. 

Si, ça a commencé en 60. 

Oui, mais ce n’était pas organisé de la même façon. 

Ok. Est-ce qu’il y a un message que vous voudriez adresser ?

Non, tout va bien, moi. Tout va bien, je suis content. Je raconte un petit peu mes souvenirs. Jean-Claude Killy dit toujours, il y a trois phases, enfin, il y a deux phases, apprendre et entreprendre. Moi, je rajoute transmettre. Donc, j’ai appris beaucoup et de partout pour réaliser ma vie d’adulte. Ensuite, j’ai entrepris. J’ai entrepris au niveau politique parce que je suis devenu politique. Et puis, aujourd’hui, j’ai un âge où je peux transmettre parce que j’ai acquis suffisamment d’expérience et j’espère d’acquérir un peu de sagesse pour pouvoir transmettre tout ça. 

C’est un peu ce que vous faites en me racontant votre histoire aujourd’hui. 

Voilà, allez Baptiste on va écrire.  

C’est cool. Merci beaucoup. 

Walker et Dixon. 

Vous connaissez lui ? 

Dixon, oui, bien sûr. C’était un coureur de 1500-5000. 

C’était un copain ? 

Emiel Puttemans, un Belge, un coureur de 5000, lui. Valéry Borzov, champion olympique du 100 mètres. Robert Taylor, ça c’est tous des copains ça. 

Ah ouais ? 

Ah oui oui. 

C’était important pour vous les copains dans le sport ? 

Oh bah oui. 

C’est Jean-Claude Magnan qui me disait que…. 

C’est l’escrimeur lui ? 

Ouais. Lui il me disait qu’il aimait le sport individuel, il se sentait plus fort en individuel, mais qu’ici il y avait un bon groupe de copains. 

Ah bien sûr. Ah bah toujours. 

C’est là où il serait le meilleur. 

Bah évidemment.

Petite  fille de Guy : On est à Tom Hill là, après Rod Milburn. 


Ah bah oui, Rod Milburn, c’est le 110. 

Donc Rod Milburn c’est le premier. 

C’est pas Ron, c’est Rod. Ah oui. 

Ça arrive. 

Petite fille de Guy : Bah ça y est. Ah ouais, ça y est, c’est papou là. 


Et voilà. Ah oui, c’est dans l’ordre du fichier,


C’est ça. Voilà, Guy Drut. 

Ça y est. Parfait. 

Trop cool. Ben, un grand merci. 

Pas de problèmes. 

Je vous remercie pour votre écoute et j’espère que cette rencontre avec Guy Drut et la course de haies vous a plu. J’ai personnellement beaucoup aimé son explication de ce qui fait la spécificité du 110 mètres haies, le rythme. J’ai aussi été touché par son témoignage sur les attentats de Munich et sur l’importance qu’il accorde à la sécurité des athlètes en tant que membre permanent du comité international olympique. Vous pouvez découvrir d’autres histoires de médaillés olympiques sur ce podcast et sur les réseaux sociaux. Si vous avez aimé cet épisode et si vous voulez soutenir le projet artistique *AMATEURS*, n’hésitez pas à vous abonner, à partager ce podcast à vos proches et aux amoureux du sport, à laisser un commentaire et à mettre 5 étoiles sur les plateformes d’écoute. Je vous remercie pour ce moment partagé ensemble, pour votre temps et je vous dis à bientôt.